Et si La Réunion était confrontée à un nouveau Hyacinthe

Janvier 1980. Un mois tristement gravé dans la mémoire collective réunionnaise. Le nom Hyacinthe résonne encore comme un avertissement, le souvenir d'un cyclone d'une nature particulière. Loin des vents destructeurs habituels, c'est une pluie diluvienne, implacable, qui a marqué à jamais le paysage et les esprits. Retour sur un épisode météorologique exceptionnel, dont les leçons restent cruciales aujourd'hui.

Une Trajectoire Singulière, une Menace Insidieuse

Contrairement aux cyclones classiques, le cyclone Hyacinthe a privilégié une approche en trois temps, encerclant La Réunion et s'attardant dangereusement à proximité.

• 18 janvier 1980 : Première alerte. Lors de son premier passage, à environ 100 km au nord de l'île, Hyacinthe se présentait comme un système dépressionnaire modeste. Les rafales anémiques, ne dépassant pas 40 km/h, ne laissaient présager rien d'alarmant. Pourtant, une partie de la perturbation s'est obstinément maintenue au-dessus de La Réunion, déversant des quantités de pluie déjà significatives.
  
• Nuit du 24 au 25 janvier 1980 : Le piège se referme. Après une boucle au nord-est de Madagascar, Hyacinthe revient vers La Réunion. Cette fois, il frôle la côte sud-ouest à un peu plus de 100 km. Les vents, bien que plus soutenus (jusqu'à 70 km/h), restaient secondaires face à la véritable menace : des pluies torrentielles qui s'intensifiaient sans relâche.
  
• 27 janvier 1980 : L'étreinte finale. Après une nouvelle boucle, Hyacinthe se rapproche encore, passant à environ 70 km au sud de l'île. Intensifié en forte tempête tropicale, il génère des vents plus conséquents, atteignant 137 km/h à Gillot, avec une pression atmosphérique minimale de 977 hPa enregistrée à Saint-Pierre. Cependant, le déluge persiste, transformant le paysage en une zone de chaos.

Au total, La Réunion est restée captive d'une masse nuageuse gorgée d'eau pendant près de deux semaines, du 15 au 27 janvier. Une persistance qui allait engendrer des conséquences dramatiques.

Des Cumuls Pluviométriques Vertigineux : Des Chiffres qui Parlent d'eux-mêmes

L'insistance de Hyacinthe au voisinage de l'île a provoqué des précipitations d'une intensité rarement observée. Les chiffres sont éloquents :

• Grand Ilet, Salazie : Un pic impressionnant de 1742 mm en seulement 24 heures.
• Cumuls totaux sur l'épisode :
  • Plaine des Palmistes : 4193 mm
  • Grand Ilet : 5237 mm
  • Commerson : 6401 mm (un record absolu !)

L'ampleur de ces précipitations est illustrée de manière frappante par des témoignages locaux. À Saint-Benoît, la submersion d'un poteau électrique près du Grand-Étang, dont les fils se situaient à 19 mètres du sol, témoigne d'une élévation du niveau de l'eau de plus de 20 mètres !

Si l'Est et les cirques ont payé le plus lourd tribut, l'Ouest a été relativement épargné, avec des cumuls inférieurs à un mètre sur l'ensemble de l'épisode. Un contraste saisissant qui souligne la localisation des pluies les plus intenses.

Un Bilan Humain et Matériel Tragique : Les Cicatrices d'Hyacinthe

Le déluge provoqué par Hyacinthe a engendré une multitude de mouvements de terrain, déstabilisant le sol et causant des dégâts considérables. Les cirques de Salazie et Cilaos ont été particulièrement touchés, avec des centaines de glissements de terrain recensés, dont un de grande ampleur à Grand Ilet.

Mais c'est le bilan humain qui reste le plus douloureux. Vingt-cinq personnes ont perdu la vie, la plupart emportées par la furie des rivières et ravines en crue. Près de 8 000 sinistrés ont dû être accueillis dans des centres d'hébergement.

Les infrastructures ont également lourdement souffert :

• Habitations : 288 maisons entièrement détruites et 1712 partiellement endommagées, pour un coût estimé à 32 millions d'euros.
• Réseau routier : De nombreuses sections emportées ou obstruées par des éboulis et des coulées de boue, avec des dégâts chiffrés à 30 millions d'euros.

L'agriculture, pilier de l'économie réunionnaise, a été durement frappée, avec des pertes estimées à 36 millions d'euros. Le cheptel a été décimé (environ 1000 bovins, 2000 à 2500 porcs, 40 000 poules, 5000 lapins, 630 boeufs perdus). Les cultures ont été anéanties :

• Géranium (80 à 100% de pertes) : Un désastre pour plus de 2000 familles.
• Canne à sucre (10 à 40% pour les repousses, 50% pour la canne vierge).
• Vanille (50% de pertes).
• Bananes, mangues, avocats (100% de pertes).
• Maraîchage : Destruction totale des cultures à maturité.

Une Mobilisation Sans Précédent : La Solidarité Face à la Crise

Face à l'ampleur de la catastrophe, les autorités ont mis en place un dispositif de secours considérable :

• 38 centres d'hébergement ouverts.
• Près de 8000 personnes accueillies dans la nuit du 27 au 28 janvier.
• Déploiement d'un escadron de gendarmerie et d'hélicoptères "Puma" pour les secours et la logistique, notamment dans les cirques isolés.
• Distribution de 80 000 rations alimentaires, 10 000 couvertures et 4 000 lits.

Hyacinthe : Un Précédent Inquiétant à l'Ère du Changement Climatique

Le passage du cyclone Hyacinthe a rappelé avec force la vulnérabilité de La Réunion face aux aléas climatiques, en particulier aux épisodes de pluies extrêmes. Les dégâts totaux, estimés à environ 130 millions d'euros en 1980, témoignent de la violence de cet événement. Il est frappant de constater qu'aujourd'hui, des épisodes pluvieux bien moins longs, comme Garance ou Fakir, suffisent à paralyser l'île, entraînant des fermetures de routes, d'écoles et des inondations.

La question se pose alors : que se passerait-il si un cyclone dont l'intensité pluviométrique d'Hyacinthe frappait à nouveau La Réunion ? Avec une urbanisation croissante, souvent au détriment de zones naturelles et de bassins de rétention d'eau, les conséquences pourraient être encore plus dévastatrices.

Si les modèles de prévisions météorologiques ont considérablement progressé, la trajectoire erratique d'Hyacinthe soulève des interrogations sur notre capacité à anticiper parfaitement de tels événements. Une chose est certaine : un épisode de cette ampleur impacterait durablement et profondément la vie économique et sociale de l'île.

Une méditation nécessaire : Sommes-nous suffisamment préparés à affronter un événement d'une telle intensité ? Les leçons d'Hyacinthe, cyclone d'un autre genre, doivent nous inciter à renforcer notre résilience face aux défis météorologiques de demain.

Bibliographie